Réforme de l’assurance chômage : un cadrage trop étroit

Le constat a fait les titres de la presse : « Les partenaires sociaux n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur une réforme de l’Assurance chômage dans le cadre de ce que leur avait demandé le gouvernement. A lui, maintenant, de prendre les décisions qui fâchent ». Cette issue était annoncée depuis plusieurs mois. Après l’aller-retour du MEDEF fin janvier, protestant contre le « bonus-malus » dont le principe avant été décidé par le chef de l’État, les syndicats de salariés ont à leur tour calé sur l’injonction à faire disparaître un déficit se montant à 3,4 milliards d’euros (en 2017).

L’ambiguïté d’une « générosité rentable »

Parmi les anomalies du système français d’assurance chômage, le plafond très élevé des allocations dont bénéficient les cadres supérieurs est le plus flagrant. Aucun autre pays ne dépasse 5000 euros par mois d’indemnisation pour une personne au chômage. La réponse simple serait d’abaisser le plafond, pour augmenter l’incitation des cadres à retrouver rapidement un travail. Cet avis n’est pas partagé par Guillaume Allègre, économiste de l’OFCE, qui rappelle que les cadres supérieurs cotisent à un niveau très élevé et sont moins souvent au chômage que les autres.

Pour conserver un peu de cohérence « assurantielle » dans le système – au moins pour les revenus médians à élevés – il parait effectivement légitime de faire évoluer en proportion le plafond de cotisation et celui d’indemnisation.

Mais peut-être faudrait-il sortir de la logique assurantielle, bismarckienne, pour basculer vers un système solidaire, financé par l’impôt selon la logique beveridgienne, qui verse des allocations identiques pour tous les chômeurs ? Nous n’en sommes pas là !

Les limites d’une « assurance solidaire »

L’assurance chômage gérée par Pôle Emploi hésite entre les deux logiques. Le système a le nom et l’apparence d’une assurance, avec des cotisations finançant un compte individuel qui sert de base calcul aux indemnités versées en cas de perte d’emploi. Mais les règles de calcul des indemnités, qui privilégient les périodes de cotisation courtes, les petits salaires, les temps partiels, voire l’intermittence, biaise notablement la logique assurantielle. Un même euro cotisé ne donne pas droit à la même indemnité au final.

Pour sortir de cette incohérence, une approche duale a été proposée par Geoffroy Roux de Bézieux en septembre 2018, dès sa nomination comme président du MEDEF :

« Premièrement, une allocation universelle forfaitaire financée par la CSG, gérée par l’État, qui intégrerait l’ASS et potentiellement d’autres minima sociaux. Ensuite, un régime assurantiel complémentaire obligatoire, géré par les partenaires sociaux comme c’est le cas pour les retraites complémentaires, financé par les cotisations des entreprises, non garanti par l’État et avec une règle d’or : l’équilibre des comptes ».

Cette approche ne faisait pas partie du cadre posé par le gouvernement, suivant les préconisations de son administration. Elle n’a donc pas été étudiée de façon approfondie.

Une dramatisation probablement nécessaire

Peu de jours après le ballon d’essai lancé par le gouvernement sur la possible baisse du plafond d’indemnisation, le Premier ministre Édouard Philippe et la ministre du travail Muriel Pénicaud ont lancé un pavé dans la mare médiatique en affirmant qu’environ 20% des chômeurs indemnisés perçoivent une allocation supérieure à la moyenne des rémunérations mensuelles antérieures. Malgré les nombreuses réactions choquées, plusieurs experts ont confirmé l’existence de ces cas, sans être en mesure cependant d’évaluer l’ampleur du phénomène.

Au moment où le gouvernement reprend la main après le renoncement des syndicats, du patronat comme des salariés, une telle annonce choc est un message : « il est temps que nous remettions de l’ordre dans cette gabegie », accompagnant opportunément la sortie énervée du chef de l’État :

« On a dit aux partenaires sociaux : trouvez-nous une solution pour le chômage, vous êtes autour de la table, vous êtes responsables alors même que les syndicats ne financent plus le chômage, c’est le contribuable. Comme c’est difficile, ils ont rendu hier au gouvernement la copie ».

Cadrer la concertation avec des questions ouvertes, pas des réponses

Cette sortie contient une inexactitude : si le gouvernement a supprimé la part salariale des cotisations à l’assurance chômage, remplacée par une augmentation de la CSG (assimilée dans ce cas à un impôt), il n’a pas modifié la partie la plus importante, la cotisation de 4,55% versée par l’employeur. Le président reprend cependant régulièrement ce message pour légitimer la reprise en main par l’État.

Exit donc la concertation avec les partenaires sociaux. L’administration va dessiner l’avenir de l’assurance chômage. Peut-être s’inspirera-t-elle des propositions radicales présentées par l’économiste Bruno Coquet en mai 2017, au chapitre 6 de son livre « Un avenir pour l’emploi, Sortir de l’économie administrée » ?

Espérons que ce débat va maintenant s’ouvrir, et si possible avec la participation de représentants des diverses parties prenantes de cette vaste équation redistributive.