Ce texte a été repris sur le site du journal Le Monde le 8 mars 2019.
Alors que le gouvernement finlandais de Juha Sipilä vient d’annoncer sa démission en constatant son incapacité à réformer le système social, il est particulièrement intéressant d’analyser le résultat controversé d’une expérimentation que ce gouvernement a initiée en 2016, attirant l’attention du monde entier.
Un événement aux résonances mondiales
Après trois année d’excitation médiatique, le gouvernement finlandais a annoncé qu’il ne donnerait pas suite à l’expérimentation d’un prétendu « revenu de base » de 560 euros, qu’il a distribué pendant deux ans à 2000 finlandais tirés au sort parmi les plus défavorisés. En réalité, le dispositif testé n’avait qu’un vague cousinage avec ce que serait un véritable revenu universel : fiscal, individuel, à tous, sans condition. Refermer cette parenthèse approximative permet de reprendre l’étude de propositions plus sérieuses.
Car l’agitation mondiale sur la thématique du revenu universel est impressionnante. Depuis cinq ans, des centaines d’articles et d’études plus ou moins fantaisistes sont publiés chaque mois sur le sujet. En juin 2016, le monde entier analysait le référendum suisse, qui proposait aux citoyens d’étudier une proposition délirante : 2300 euros pour tous, chaque mois. La campagne présidentielle française n’y a pas échappé, avec le passage d’une comète Hamon qui a semé une incompréhension massive sur son sillage.
Qu’ont testé les finlandais, au juste ?
Pour les 2000 adultes sélectionnés en janvier 2017 parmi les chômeurs de 25 à 58 ans, le « revenu de base » administré par KELA, la Sécurité sociale finlandaise, a remplacé tout ou partie de l’allocation chômage par une allocation d’un montant forfaitaire, 560 euros, assortie d’une promesse : vous la garderez jusqu’à fin 2018 même si vous retrouvez un travail. Logiquement, certains ont apprécié une prestation qui augmentait leurs ressources ou lissait des revenus irréguliers. Ce confort a réduit leur incertitude pendant deux ans. Mais ont-ils retrouvé le chemin du travail pour autant ?
L’objectif du gouvernement finlandais était d’expérimenter une parade contre la désincitation massive induite par des prestations sociales très généreuses – nettement plus qu’en France. En Finlande, reprendre un travail ne paie pas. Un euro gagné par son travail, c’est presque autant de perdu sur ses prestations sociales. Un piège infernal.
Le ministre des finances Petteri Orpo, président du Parti de la coalition nationale, a commenté les premiers résultats de l’expérimentation, rappelant d’abord qu’il y était opposé dès l’origine. Le fait qu’il n’ait pas observé d’incitation à reprendre un emploi confirme son impression première. Il préconise aujourd’hui une simplification importante de la protection sociale, des allocations conditionnelles d’un niveau probablement inférieur aux 560 euros testés et des mécanismes incitatifs qui pourraient prendre la forme de dispositifs fiscaux.
La Finlande aura encore besoin de temps pour digérer les leçons de son expérimentation et rebondir. En France, le point de départ est techniquement plus favorable que le piège à chômeurs finlandais, mais à condition de ne pas se tromper de cible. Il est temps de recentrer le débat sur le vrai sujet. En France, c’est d’abord une réforme de l’impôt sur le revenu.
On sait depuis 45 ans que l’enjeu est fiscal, mais on s’obstine à empiler des dispositifs sociaux compliqués et inefficaces
En 1974, l’économiste Lionel Stoléru (1937-2016) proposait la création d’un impôt négatif. En 1988, il était appelé dans le gouvernement de Michel Rocard pour créer une prestation sociale, le Revenu minimum d’insertion (RMI), ce qui ne correspondait nullement à l’approche fiscale initiale. En 1997, l’économiste François Bourguignon expliquait à Lionel Jospin comment éliminer les inconvénients avérés du RMI grâce à une réforme fiscale. Un long débat aboutit alors à la création en 2001 d’une modeste Prime pour l’emploi, forme minimale et éphémère d’impôt négatif.
Depuis cette époque, on patauge dans l’ingénierie des prestations sociale. En 2007, Martin Hirsch défendait son Revenu de solidarité active (RSA). En 2016, la Prime d’activité fusionnait le RSA activité et la Prime pour l’emploi, améliorant mécaniquement le taux de recours à la prestation. Après son étude confidentielle de 2018 sur une « Allocation sociale unique » inspirée de l’Universal Credit anglais (dont le résultat est très ambivalent), Fabrice Lenglart est chargé de définir le « Revenu universel d’activité », promis pour 2020 par le président Macron. On craint l’atteinte d’un nouveau record de complexité et d’opacité.
Une solution très simple est pourtant sous nos yeux !
En 2014, je publiais avec le philosophe Gaspard Koenig une synthèse de mes travaux pour le think-tank GenerationLibre : LIBER, un revenu de liberté pour tous. Nous insistons depuis cinq ans sur la nécessité d’une réforme fiscale, mais l’administration résiste : pas question de mélanger le social et le fiscal ! D’un côté, Bercy fait entrer les sous ; de l’autre, le ministère des Affaires sociales distribue avec discernement des aides spécifiques à ceux qui en ont vraiment besoin. Chacun son boulot.
La mise en œuvre du prélèvement à la source est l’opportunité de réaliser – enfin – l’adaptation automatique mensuelle aussi bien des prélèvements que des transferts monétaires à la réalité de la situation de chaque ménage. La solution est une simplification majeure : remplacer la complication du calcul de l’impôt sur le revenu, du RSA et d’autres dispositifs, par un simple crédit d’impôt individuel mensuel de 480 euros, venant en déduction d’un prélèvement de 23% sur tous les revenus du mois, dès le premier euro.
Pour les personnes seules au RSA, le mécanisme fiscal est monétairement équivalent mais infiniment plus simple. Pour les contribuables des classes moyennes supérieures, cela ne change rien non plus. Par contre, pour les actifs aux revenus modestes, qui forment l’essentiel des cortèges de gilets jaunes, la réforme fiscale permet un gain monétaire significatif. Elle sonne aussi le glas de 50 milliards d’euros de dispositifs « incitatifs » compliqués, paternalistes, épouvantablement coûteux et inefficaces.