Pôle Emploi a publié la note expliquant pourquoi la ministre de l’emploi Muriel Pénicaud a déclaré brusquement qu’un allocataire sur cinq perçoit plus d’allocation chômage que lorsqu’il était en activité. Cet imbroglio révèle un problème de fond : la permanente confusion entre assurance et solidarité.
Les incrédules doivent relire plusieurs fois avant de commencer à l’admettre : une partie importante des bénéficiaires de l’assurance chômage reçoit plus de Pôle Emploi que lorsqu’ils étaient en activité. C’est structurel, la conséquence logique et pas illégitime du mode de calcul de l’allocation pour ceux qui alternent inactivité et petits boulots.
Pôle Emploi explique dans sa note que chacun a droit à l’assurance chômage dès qu’il parvient à cumuler 88 jours d’activités sur une période de 28 mois (ou 36 mois pour les plus de 53 ans). Peu importe le niveau de salaire et la dispersion des jours travaillés sur cette période, dès que le compteur atteint la barre des 88 jours (4 mois), le demandeur d’emploi peut faire la somme des salaires perçus et diviser par le nombre de jours travaillés pour calculer son salaire de référence.
La période d’indemnisation est proportionnelle (avec un rapport de 1,4) au nombre de jours de travail enregistrés pendant la période de 28 mois, dans la limite de deux ans. L’allocation est calculée avec une formule dégressive, les bas salaires percevant 75% du salaire de référence, les plus hauts étant limités à 57%.
Est-il possible de détricoter les règles assurantielles de celles relevant de la solidarité ? Grosso modo, dès que cela avantage les plus faibles, c’est de la solidarité. Précisons cela.
Si c’était uniquement une assurance
Un assureur a l’impératif d’équilibrer ses comptes entre les cotisations reçues et la multiplication du montant des prestations proposées par la probabilité d’occurrence du risque couvert. De son côté, chaque souscripteur à l’assurance cumule des droits proportionnés à ses cotisations.
Depuis octobre 2018, ceci est matérialisé dans la fiche de paie par une cotisation unique (patronale, peu importe) de 4,05 % du salaire brut. Pour un smicard dont le salaire brut est de 70,21 euros par jour (base 35 heures), la cotisation est donc de 2,84 euros par jour. Au bout de 88 jours, le smicard a cotisé 250 euros, soit 63 euros par mois. En divisant par une probabilité de l’ordre de 10% d’être au chômage, on détermine l’ordre de grandeur de la prestation qu’une assurance chômage réellement assurantielle pourrait servir à un smicard : 625 euros par mois, auxquels il faudrait retirer la CSG, soit une prestation (imposable) versée de 560 euros par mois, sur une durée égale à la durée travaillée.
Par rapport à un SMIC mensuel net de 1 171 euros, la prestation Pôle Emploi serait de l’ordre de 48%. Ce résultat dépend fortement du taux de chômage. Si ce taux était de 15 %, la couverture chuterait à 32 %.
Quelle prestation serait calculée par l’assurance pour les hauts revenus ?
Plaçons-nous dans le cas limite d’un cadre dont le salaire brut est égal à quatre fois le plafond de la sécurité sociale, soit 13 500 euros par mois. La cotisation chômage de 4,05 % lui coûte 547 euros par mois. Avec un taux de chômage de 10 %, l’assurance chômage pourrait lui servir une prestation de l’ordre de 4 900 euros par mois, ce qui représente un taux de remplacement d’environ 47%, sensiblement égal à celui du smicard.
Là aussi, la prestation pourrait être versée sur une durée équivalente à celle de cotisation. Mais ce n’est pas le choix qu’ont fait les partenaires sociaux dans la définition des règles de l’assurance chômage. La prestation est limitée à deux ans (ou trois pour ceux qui se trouvent au chômage passés 55 ans). Ceci permet d’améliorer le taux de remplacement, nettement au dessus de 48 %. Par ce choix, on est encore dans le domaine de l’assurance : on privilégie la reprise du travail, afin d’éviter que les cadres bien payés s’installent à 45 ans dans une pré-retraite confortable après une vie professionnelle intense… Cela se comprend.
Un autre choix compatible avec la logique assurantielle est la durée de la « période de référence », fixée à 28 ou 36 mois, pour accumuler les 88 jours travaillés ouvrant le droit au minimum de 4 mois d’allocations. Théoriquement, on pourrait imaginer que cette durée soit infinie, l’assurance actualisant l’ensemble des cotisations versées depuis le début de la vie professionnelle jusqu’au moment où un salarié fait valoir ses droit au chômage. Là encore, le choix de limiter cette période évite les carrières professionnelles trop dilettantes.
Dans une logique d’assurance, le calcul du taux de remplacement fait par Pôle Emploi n’a pas de sens
La note de Pôle Emploi est basée sur la comptabilisation des mois travaillés ou pas pendant la période de référence, avec la définition suivante : « les seuls mois de la période d’affiliation au cours desquels au moins une heure travaillée a été prise en compte dans l’ouverture de droit ». A l’extrême, si une personne travaille au smic 3 ou 4 jours par mois pendant 28 mois, jusqu’à atteindre le seuil fatidique de 88 jours travaillés, elle obtiendra une allocation pendant 4 mois. Ceci n’est en rien une anomalie par rapport aux règles d’assurance. Par contre, le montant de la prestation reçue pendant quatre mois, 920 euros, est évidemment nettement supérieur aux quelques 150 à 200 perçus chacun des 28 mois précédents. Emotion générale !
Cette affaire est révélatrice de la profonde confusion qui règne sur le caractère assurantiel ou solidaire de la prestation administrée par Pôle Emploi. Dans Les Echos, l’éditorialiste Jean-Marc Vittori dénonçait récemment les deux confusions qui sapent le modèle social français : « Ces deux erreurs empêchent d’y voir clair. Elles empêchent aussi d’avancer vers un système simple, juste et efficace ».
La confusion est attisée par les biais introduits dans l’assurance chômage
Le choix d’une formule de calcul qui privilégie les bas revenus est le premier biais, justifié par la générosité de la Nation envers les plus fragiles : certains perçoivent 75% de leur salaire de référence, d’autres 57%. Ceci est renforcé par l’exonération ou le taux réduit de CSG et CRDS pour les personnes non imposables.
L’incursion la plus massive de la solidarité dans les prestations Pôle Emploi est l’existence d’une Allocation de solidarité spécifique (ASS) versée sans limitation de durée à ceux « qui ont travaillé au moins 5 ans (à temps plein ou à temps partiel) au cours des 10 ans avant la fin de leur dernier contrat de travail ». C’est formulé un peu comme de l’assurance, mais c’est en réalité une prestation de solidarité, versée sous conditions de ressources à plus de 400 000 allocataires. Les effets pervers de l’ASS sont clairement identifiés et militent pour une absorption par le RSA, mais malgré une série de rapports parlementaires ou administratifs dans ce sens, le gouvernement hésite : cette réforme ferait immanquablement des perdants…
Peut-être que la meilleure option consisterait à suivre l’orientation proposée par le patron du MEDEF en septembre 2018 ? Geoffroy Roux de Bézieux déclarait alors : « Nous ne sommes plus dans un véritable système d’assurance-chômage. (Il faudrait) remettre complètement le système à plat. Premièrement, une allocation universelle forfaitaire financée par la CSG, gérée par l’Etat, qui intégrerait l’ASS et potentiellement d’autres minima sociaux. Ensuite, un régime assurantiel complémentaire obligatoire, géré par les partenaires sociaux comme c’est le cas pour les retraites complémentaires, financé par les cotisations des entreprises, non garanti par l’Etat et avec une règle d’or : l’équilibre des comptes ».