Atlantico : Interviewé par le JDD sur la nécessité d’une grande réforme de la fiscalité en France, Gérald Darmanin, a déclaré que « la remise à plat de notre fiscalité » était « en cours ». Qu’en est-il véritablement ? La remise à plat de la fiscalité est-elle effectivement initiée ou le ministre de l’Action et Comptes publics est-il dans l’exagération ?
Marc de Basquiat : Depuis le début de l’épisode Gilets jaunes, la fiscalité est sur toutes les lèvres. Généralement pour s’insurger contre le taux de prélèvement record que subissent les citoyens et entreprises de notre pays. Le Grand débat apporte évidemment son lot de propositions démagogique, sur le refrain sempiternel « faisons payer les riches », comme si le retour de 4 milliards d’euros de recette ISF pouvait restaurer l’équilibre du budget national. Le concours Lépine de la créativité fiscale a tourné à plein. Il s’agit maintenant d’atterrir et définir les ajustements de cap qui démontreront que le gouvernement a réellement compris la détresse qui s’est largement manifestée dans le pays.
L’expression « remise à plat de notre fiscalité » utilisée par le ministre Darmanin est flamboyante ! Pour tout processus, en entreprise comme pour les politiques publiques, ceci évoque une analyse fonctionnelle exhaustive, du sol au plafond, par laquelle on mesure tous les écarts entre la situation présente et le niveau de performance attendu. Une méthodologie fameuse à ce titre est le BBZ (budget base zéro) qui n’accepte aucune ligne de dépense ne contribuant pas explicitement à l’objectif global. Nous en sommes très loin : considérant les 3 686 pages de la dernière version du Code général des impôts, cette prétention à une « remise à plat » fait franchement sourire.
Mais ce qui manque le plus à notre gouvernement est encore plus fondamental : l’explication compréhensible par tous de la cible à atteindre. Quel est le grand récit fiscal dont LREM et ses alliés pourraient faire la pédagogie dans le pays ? Gageons que beaucoup de français seraient prêt à relayer un projet équilibré et mobilisateur, pour calmer le jeu dans le pays et repartir de l’avant. Pour l’instant, même les meilleures volontés sont décontenancées, ne voyant pas comment contribuer utilement à relancer la machine des réformes.
Gérald Darmanin cite la suppression de la taxe d’habitation, la suppression d’une partie de l’ISF et la mise-en-place de la flat taxe comme preuves qu’une refonte est en cours. Peut-on réellement considérer ces réformes comme étant une remise à plat de la fiscalité ? Ne peut-on pas aller plus loin : quelles réformes seraient partie prenante d’une réelle refonte de la fiscalité ?
Le ministre du budget a raison de mettre en avant l’importance des réformes fiscales réalisées dès le début du quinquennat. On peut y ajouter le prélèvement à la source d’un acompte d’impôt sur le revenu depuis janvier. C’est indiscutable : aucun gouvernement n’avait tant bousculé le paysage fiscal en si peu de temps. Honnêtement, on peut applaudir la réalisation tambour battant de réformes majeures affichées dans le programme électoral du candidat Emmanuel Macron.
Il y a objectivement des raisons légitimes de supprimer la taxe d’habitation, lointaine héritière d’un impôt créé à la Révolution française, frappée d’obsolescence. Mais des effets pervers du même ordre frappent la taxe foncière, les droits de mutation et de succession. Le gouvernement n’ayant pas encore expliqué comment sera remplacée la taxe d’habitation, on voit mal comment il pourrait aborder les autres composantes de la fiscalité locale et du patrimoine. Une vision globale telle que l’ICI (Impôt sur le Capital Immobilier) serait pourtant une belle « remise à plat » en matière de fiscalité locale. En fluidifiant le marché du logement, en éliminant les désincitations à la location et les contraintes sur les successions, l’ICI dynamiserait très fortement un secteur qui multiplie actuellement les dysfonctionnements.
Le prélèvement à la source est l’autre grande opportunité de modernisation de notre fiscalité. Mais à condition d’aller plus loin en capitalisant sur la réussite de la première phase. Pour l’instant, le débat n’est pas encore ouvert sur les inconvénients du nouveau dispositif, mais il est possible que des cas problématiques montés en épingle dans les prochains mois distillent un doute sur les bénéfices réels de cette réforme. Là encore, le gouvernement marquerait des points en affichant rapidement une trajectoire de réformes. On peut en effet identifier deux anomalies dans le dispositif mis en œuvre. Tout d’abord, le choix politique d’une collecte par des tiers déclarants de l’acompte mensuel, acceptable pour les salariés en CDI ou les retraités, crée des situations instables pour les personnes dont les revenus irréguliers ont des origines multiples. Ensuite, le taux utilisé pour l’acompte prélevé mensuellement n’est pas représentatif de la situation présente mais calculé à partir de la situation familiale et des revenus de l’année N-2. Nous ne mesurerons qu’au printemps 2020 les conséquences de ces imperfections. Le gouvernement ferait bien de préparer avant cette échéance une phase 2 simplifiant réellement l’impôt sur le revenu.
Alors que les conclusions du Grand débat seront dévoilées demain, quelles solutions mettre en place pour que ces mois de réflexion débouchent sur un vrai changement qui trancherait radicalement avec les habitudes françaises en matière d’impôts et de dépenses publiques ? Le revenu universel est-il une solution parmi d’autres ?
Le péché mortel de nos systèmes fiscaux et sociaux, c’est la complexité. Personne n’y comprend rien. Bien sûr, chacun saisit plus ou moins comment fonctionnent les dispositifs qui le concernent. Et encore. Mais personne n’a d’idée pertinente sur les mécanismes auxquels il n’est pas soumis personnellement. Du coup, chacun fantasme sur les avantages indus des autres, sur leurs capacités de contribuer plus, sur les fraudeurs et assistés en tous genres. Cette complexité malsaine est incompatible avec le principe même de démocratie. Cela éclate la société en catégories toujours plus étanches et ignorantes les unes des autres.
La révolution démocratique qui ferait du bien à notre pays, tient en un mot : universalité. Nous devons à toutes forces et à toute vitesse réinventer du commun : des règles fiscales communes à tous, une politique familiale universelle, des mécanismes sociaux simples et efficaces. L’obstacle principal n’est pas technique. Il réside avant tout dans la catégorisation de l’action publique en divers domaines indépendants, où œuvrent quelques milliers d’experts créatifs et déconnectés. Par exemple, le ministère des finances cherche tous les moyens possibles pour faire entrer des sous dans la caisse. Celui des affaires sociales s’efforce de les dépenser à bon escient…
Rêvons d’un système fiscal qui s’occupe aussi d’apporter une réponse efficace au plan social. L’impôt sur le revenu serait calculé tous les mois à partir des informations collectées par l’administration en multipliant par 23 % la somme des revenus du mois et soustrayant 480 euros par adulte. Lorsque ce calcul aurait un résultat négatif, ceci déclencherait un virement automatique du fisc vers le compte bancaire du foyer fiscal. Ce mécanisme ultra simple, applicable à toute la population sans distinction, remplacerait une grande partie de la complexité actuelle. L’administration est-elle capable de mettre en œuvre une simplification aussi radicale ? Ce serait une révolution culturelle énorme.