Les marcheurs de 2017 ne cachent plus leur déception devant l’extrême prudence, voire la tentation de démagogie d’un gouvernement élu pour réformer. Derniers exemples en date : la députée LREM Amélie de Montchalin tacle la volonté du Premier ministre d’imposer des contreparties aux aides sociales et une ministre ose proposer une réforme fiscale !
Lorsque la Ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, Jacqueline Gourault, prend à son compte l’idée fréquemment évoquée d’élargir l’assiette de l’impôt sur le revenu, afin d’inclure dans ce prélèvement symbole de la Nation 57% des français qui y échappent, elle est dans son rôle. Même s’ils contribuent par la TVA et la CSG notamment, les non-assujettis font figure de citoyens de deuxième classe. Faire disparaître cette « fracture fiscale » ne peut qu’aider à développer le sentiment d’appartenance à une même communauté de destin… et de contribution fiscale.
Une idée saine, oui, mais ce n’est pas le moment. Avec le grand déballage s’est ouvert un concours Lépine des idées les plus généreuses… pour les autres. Avec deux cibles privilégiées : les riches (yaka les faire payer plus) et les pauvres (yaka mieux les contrôler).
Une « justice » caricaturale à gauche
Les discours de gauche sur la justice sociale égrènent quatre principes :
- Les pauvres ne devraient payer aucun impôt, ils n’en ont pas les moyens.
- Les pauvres devraient recevoir des aides sociales leur permettant de dépasser le seuil de pauvreté (1026 euros par mois pour une personne seule).
- Les riches devraient payer l’impôt à un taux maximum, voire des impôts rien que pour eux, pour renflouer les caisses de l’Etat.
- Les riches ne devraient recevoir aucune aide de la collectivité, ni leurs enfants.
Existe-t-il des principes de « justice » à gauche concernant la majorité des français qui gagne honnêtement sa vie, sans être riche, qui travaille, élève ses enfants, s’occupe de ses parents âgés, fait face aux difficultés de la vie ? Pas vraiment. Ce n’est pas un enjeu, sauf à tenter de tirer le maximum d’avantages du système, grâce à l’accumulation de mesures ponctuelles, qui produisent les petits bonheurs individuels et les gros déficits collectifs.
Une « efficacité » caricaturale à droite
Symétriquement, les discours de droite sur le système socio-fiscal sont construits sur trois rengaines :
- On paie beaucoup trop d’impôts en France, pays le plus imposé au monde !
- Notre système social trop généreux encourage les pauvres à la paresse et à la fraude.
- Il faut aider financièrement les entreprises pour qu’elles puissent créer des emplois, car avant de pouvoir distribuer des richesses, il faut les produire.
Alors que la gauche prête une attention quasiment exclusive aux pauvres et aux très riches, la droite s’intéresse plutôt au cas général. L’intuition (pas forcément justifiée) est que si le système fonctionne bien pour 80% de la population, les exceptions se règleront plus facilement.
On peut relire les échanges récents à la lumière de ces principes. Lorsque la ministre Jacqueline Gourault propose que tous les français payent l’impôt sur le revenu, elle déclenche l’ire de la gauche (principe G1) et énerve à droite (principe D1). Lorsque le Premier ministre évoque des contreparties au versement des aides sociales, il excite la gauche (principe G2) et se positionne (de façon caricaturale) à droite (principe D2), ce qui irrite la majorité LREM. Comment sortir de ce débat politique impossible ?
Et si les 7 réflexes conditionnés de gauche et de droite étaient tous erronés ?
Pour dépasser les débats primaires qui nous affligent depuis tant d’années, il faudra probablement taper fort : remettre en cause des certitudes qui fondent les postures figées des acteurs politiques. Lors des travaux parlementaires, la plupart de nos représentants échangent sérieusement, avec le sens de l’intérêt général, pour chercher des solutions efficaces et équilibrées. Par contre, la prise de parole publique est immédiatement caricaturée par le jeu médiatique.
Que serait le débat politique si on renonçait aux 7 principes :
- Les pauvres paieraient le même taux d’impôt que tout le monde, et ce serait très bien comme ça. Aujourd’hui, les bas revenus voient leur salaire amputé de l’ordre de 38% par le mode de calcul de la Prime d’activité et acquittent comme tous les autres salariés une CSG de 9,2%. Que les pauvres paient 36% d’impôt sur leurs revenus, dès le premier euro, serait un progrès. Même ceux qui n’ont aucun revenu paieraient 36% de 0 euro, soit… zéro.
- Le « seuil de pauvreté » est un outil mathématique de mesure statistique des inégalités. Malgré son nom très mal choisi, il n’a pas du tout été conçu pour mesurer le niveau de revenu nécessaire pour vivre. Arrêter d’utiliser ce chiffre à tort et à travers serait un vrai progrès pour la clarté du débat.
- L’ISF n’a jamais rapporté que 5 milliards d’euros les bonnes années. Les taux supérieurs d’impôt sur le revenu, à 41% et 45% augmentent la recette fiscale également de l’ordre de 5 milliards. Les études économiques sérieuses montrent que les impôts dirigés spécifiquement vers les riches génèrent toujours des recettes faibles, mais des effets négatifs certains : optimisations, fraudes, exil fiscal. Même si le bénéfice politique est assuré, instaurer un impôt « spécial riches » n’est jamais la bonne méthode pour équilibrer le budget de l’Etat.
- Aujourd’hui une personne aux revenus confortables bénéficie comme les autres de nombreuses prestations universelles : maladie, éducation gratuite, prestations pour ses enfants, services locaux, soutien en cas de handicap, etc. Actons une fois pour toutes que ces prestations sont universelles, inconditionnelles et indépendantes des revenus.
- Le financement des systèmes de retraite et de santé est très largement public en France, ce qui pèse fortement sur le taux de prélèvement total. Les pays où ces prestations sont majoritairement privées affichent logiquement un taux de prélèvement inférieur à la France. Il serait préférable de comptabiliser cotisations retraites et financement santé à part, pour des comparaisons internationales plus rigoureuses, qui montreront la performance réelle de l’administration française.
- Pour illustrer le « pognon de dingue » de nos prestations sociales, on cite un chiffre dépassant 700 milliards d’euros, alors que le RSA ne compte que pour 11 milliards, apportant un minimum de survie à 1,84 millions de familles. En réalité, les pauvres ne représentent qu’une part faible du budget total des prestations sociales. Par contre, il est vrai que la complexité du système décourage les initiatives.
- Le CICE créé par François Hollande représente un budget annuel de 20 milliards d’euros et aucune analyse économique n’a réussi à mesurer un gain significatif en termes d’emploi. Il est urgent de renoncer à ces mesures pseudo-incitatives très onéreuses, financées par nos impôts et la dette laissée à nos enfants.
Pour un débat politique de qualité
La bipolarisation de l’univers politique enferme tous les acteurs – même ceux positionnés au centre – dans des débats stériles. Les responsables politiques y trouvent un bénéfice, les positions caricaturales étant plus mobilisatrices en vue d’échéances électorales. Mais au fond, le citoyen n’y trouve pas son compte, empêché d’enrichir la réflexion sur des sujets importants pour la communauté dans son ensemble.
Si nous sommes réellement une démocratie, les citoyens ont la responsabilité de faire évoluer les règles de jeu. C’est à nous de siffler la fin de la partie, d’empêcher que les idées pertinentes énoncées par l’un ou l’autre soit immédiatement dénigrées en agitant l’un ou l’autre des sept principes, autant d’idées fausses qui polluent le débat politique en France. On pourra alors réfléchir ensemble à des solutions robustes et consensuelles : une fiscalité simple et universelle, des prestations sociales également universelles pour le bien commun.