La réversion : beaux principes, réalité déroutante

Le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) publie en ce début d’année une étude de référence sur la réversion en France. On y découvre comment l’objectif initial – protéger les veuves financièrement dépendantes de leurs maris – a évolué de façon extraordinairement incohérente selon les divers régimes de retraites. Difficile dans ces conditions de défendre sans discernement les modalités pratiques de mécanismes qui induisent des inégalités peu légitimes entre les personnes en situation de veuvage, mais aussi avec les autres personnes âgées.

Des exemples significatifs

Le COR fournit une série de cas-types (très parlants même si légèrement erronés), montrant comment le montant de la réversion perçue par Jeanne après le décès d’André (qu’elle a épousé 20 ans plus tôt) est calculé très différemment selon l’histoire de chacun. Dans tous les cas, André a cotisé 37 années dans le secteur privé et a obtenu 4400 points Agirc-Arrco. Jeanne perçoit :

  • 277 €/mois s’ils sont encore mariés lors du décès d’André.
  • 75 €/mois s’ils ont divorcé au bout de 10 ans de mariage et que Jeanne ne s’est pas remariée.
  • 138 €/mois si Albert s’est remarié avec Camille 10 ans avant son décès. Camille percevra également 138 €/mois.
  • 75 €/mois si Camille a également divorcé d’André 5 ans après le remariage. Camille recevra de son côté 38 €/mois.

Comme on peut s’y attendre, toutes ces règles sont différentes avec d’autres régimes de retraites, par exemple si André a fait sa carrière dans la fonction publique : le divorce de Jeanne ne modifierait pas le montant de sa pension de réversion, par contre le remariage d’André avec Camille la diminuerait fortement.

Un contexte démographique et social en évolution

La famille de 2019 est assez différente de celle de 1949. Le schéma traditionnel de la mère au foyer et du père apportant le seul salaire d’une famille nombreuse et stable fait aujourd’hui plus figure d’image d’Epinal que de réalité sociologique dominante. Mariage, pacs, concubinage déclaré ou pas, divorces, reconfiguration des liens conjugaux et divers modes de parentalité questionnent sur les règles qui ont fondé historiquement le principe même de réversion. La hiérarchie implicite entre la pension de retraite de l’époux et la réversion de l’épouse devenue veuve n’est plus le schéma de référence.

Il n’est aucunement question de regretter ou d’applaudir l’émergence de ce nouveau contexte familial « étendu », mais de le considérer comme un état de fait. Ceci se conjugue avec une présence de plus en plus massive des femmes sur le marché du travail pour interroger la pertinence du schéma hiérarchique historique.

Quelles options ?

D’autres pays ont fait évoluer leurs systèmes d’assurance retraite vers un partage de droits acquis à l’intérieur du couple, plus en adéquation avec la réalité des familles aujourd’hui. Le modèle « contractualiste » instauré en Allemagne en 1976 est fondé sur l’équivalence de principe entre le travail domestique et celui effectué en entreprise. Il permet de faire masse des droits acquis par les conjoints pendant la durée de leur vie commune, pour les diviser en deux parts égales au moment de la liquidation des droits.

Un modèle plus radical est le schéma individualiste, en vigueur notamment en Suède, où chaque conjoint ne capitalise que les droits de retraite acquis pas son propre travail rémunéré. Ceci ne peut fonctionner que grâce à la prise en compte dans le calcul des activités socialement utiles non rémunérées, en particulier les périodes de maternité.

Difficile de dire quand la question deviendra cruciale en France, mais il est raisonnable d’affirmer que le schéma hiérarchique à l’œuvre dans la réversion est condamné à terme. Il serait utile de sensibiliser dès maintenant les citoyens à cette question, afin de se donner la chance de choisir démocratiquement, collectivement, dans quelques années, un nouveau système plus adapté.